Retour en Aplasie

La permission aura été de courte durée : 48 heures pendant lesquels j’ai pu manger quelques délicieuses pêches et des carottes râpées. J’ai découvert le visage entier de l’équipe soignante, que l’infirmier avait une barbe et que le seul déguisement obligatoire de mes visiteurs – la charlotte bleue – ne s’accordait pas vraiment avec des tenues de ville.

Finalement l’Aplasie c’est un peu mon deuxième pays. Certains vivent en Italie, d’autres en Albanie, moi je passe mon temps dans cette contrée ouatée. Où les gens avancent masqués. Où le bruit du flux d’air fait croire qu’il y a une tempête dehors. Où les seuls desserts connus sont des compotes. Où les livres en papier sont interdits et où le temps s’écoule au rythme de toutes les 4 heures pour prendre les constantes.

Mais j’ai eu droit à une faveur : le médecin m’accorde désormais six heures de sommeil d’affilée la nuit car il sait que je réagis bien aux traitements. Je commence aujourd’hui ma sixième semaine d’hospitalisation et c’est agréable d’avoir le droit à quelques privilèges.

Encore trois jours de chimiothérapie et j’espère qu’à partir de là, il ne faudra attendre que deux semaines pour que les cellules de la moelles osseuse se reconstituent.

Morphine & co

Malgré mon affirmation d’il y a quelques jours, (cf. article précédent) les douleurs n’ont cessé de s’amplifier, comme autant de combats parallèles qu’il faut mener chacun avec des armes différentes et en fonction du terrain.

Arrivé en premier, le rash cutané est déjà un vieil ennemi combattu lors de ma précédente chimio. Il avait duré environ 3 semaines et une bonne combinaison d’antihistaminiques en avait fait disparaitre les symptômes – le temps que la cause s’arrête (fin du Revlimid utilisé lors de ma 1ère hospitalisation). Ce rash là est revenu plus violent, mélange de plaques et d’éruptions volcaniques n’apparaissant jamais au même endroit du corps, et choisissant de plus en plus le clair de lune pour mieux bruler dans la nuit noire. Sa cause est incertaine et malheureusement les antiallergiques marchent beaucoup moins bien et moins longtemps. La cortisone ajoutée fait pourtant son job de fond. Après chaque vague, je me dis que c’est fini mais non, il revient chaque jour, faible mais encore combattif.

Quant à la mucite, elle se la joue printemps à fond et sème ses petits champignons à tout va dans ma bouche. Résultat, je ne peux pratiquement plus avaler – genre énorme angine  – ni bouger la langue ce qui m’empêche de parler. Je dois me contenter de laper quelques bouchées des repas, passage obligatoire si je ne veux pas avoir une sonde gastrique pour me nourrir de force.

« Ce qui marche bien c’est la morphine » me dit le toubib. Etonnant d’utiliser cette molécule pour lutter contre la douleur d’un champignon dans la bouche non ? La seule et dernière fois que j’en ai consommé, c’était à forte dose en réanimation début janvier quand je faisais un choc septique et souffrait terriblement du ventre. J’avais alors entre les mains une pompe pour m’auto-administrer des doses supplémentaires de cet alcaloïde d’opium en plus de son injection permanente.

Voyage, voyage

Au cours de cette première expérience, j’avais été rapidement soulagée de cette douleur tenace et lancinante qui m’envoyait des coups de poignard depuis déjà plusieurs jours. Sauf que j’ai rapidement eu quelques hallucinations. Je demandais à l’infirmière pourquoi les lits bougeaient dans cet hôpital, je croyais entendre à distance le chef de service parler de mon cas et de mon cathéter qui devenait une idée fixe. Et même si je n’ai pas vu d’éléphants roses, mon mental vagabondait dans les limbes. Du coup j’hésitais un peu à repousser le bouton, inquiète de la destination de ce voyage.

Dans le cas présent, pas de pompe, il s’agit de me perfuser une dose bien plus faible mais en continue pour soulager la mucite. Au début ça n’a fait grand chose – je suis une dure à cuire – et bien qu’ils aient doublé les doses initiales, le résultat est vite là et les effets sont moins violents. Comme quoi c’est bien une histoire de dosage.

Ca ne marche pas sur toutes les douleurs

Ce n’est pas tout ! Alors que les fronts Rash et Mucite commencent à être maitrisés, est survenue une douleur intense dans les quatre membres (comme des déchirures musculaires ou des problèmes articulaires) qui m’a terrassée pendant la nuit de samedi à dimanche et ne m’a pas quittée pendant de longues vingt-quatre heures. A tel point que j’étais prostrée sur mon lit, raide comme la justice. Incapable de mettre le pied par terre, je me sentais vulnérable, fatiguée, dévastée, incapable du moindre geste.

J’ai donc réclamé une augmentation des doses et des petits shots (dits bolus) supplémentaires de morphine – au diable l’avarice ! Après approbation du médecin, je m’attendais vite à un soulagement et m’apprêtais à ce nouveau voyage chimique… pour m’apercevoir 2 heures après que non. Figurez-vous que ça n’a rien fait : le plus fort des anti-douleurs ne soulageait pas la plus forte de mes douleurs… Les voies de la chimie sont impénétrables !

Heureusement, une grosse fièvre a débarqué quelques heures après. Traitée rapidement avec ce bon vieux paracétamol des familles, elle nous a permis de comprendre que mes douleurs intenses pouvaient être soulagées d’au moins 50% avec. Ouf !

Forte de ce cocktail, j’ai pu écrire ce papier. Il n’y a pas de remède miracle aussi fort soit-il qui puisse traiter l’univers impitoyable des douleurs. Seule une combinaison de bon diagnostic, de chimie innovantes, de dosage et de timing permet de gagner ces batailles.

Je sais que celles-ci se termineront avec la fin de l’aplasie.. je la guette !

Aplasie

Nous y voilà : l’aplasie a débarqué aujourd’hui.

Elle découle de ma dernière chimio et c’est le passage normal d’arrêt de production de la moelle osseuse pour pouvoir ensuite repartir avec de bonnes cellules sanguines. Mais l’étape est « touchy ».

Aplasie = leucopénie + anémie + thrombopénie

Mon premier c’est le globule blanc qui se fait ultra-rare, d’où une baisse des défenses immunitaires avec risque infectieux majeur.

Mon deuxième est le globule rouge sans qui on est fatigué et essoufflé. Heureusement on peut le compléter avec une transfusion.

Mon troisième est la plaquette qui en faible nombre entraine des risques de saignement. Là aussi on peut en transfuser.

C’est donc le risque d’infection que l’équipe médicale va contrôler, avec vérification des constantes hémodynamiques toutes les 4 heures, de jour comme de nuit. Les mesures d’isolement sont aussi renforcées avec transformation de tous ceux qui entrent dans ma chambre en personnages masqués, alimentation surveillée sans crudité ni fruit, etc.

Malgré toutes ces précautions, on se souvient que j’ai fait un choc septique début janvier lors de ma première aplasie à cause du cathéter. C’est rare d’en arriver là, mais on s’attend quand même à un minimum : infection des muqueuses, de l’appareil digestif ou autres…

Bref, que du bonheur… je ne m’en fais pas trop car je sais les toubibs sont prêts à dégainer pour limiter les dégâts – et surtout bien traiter la douleur.

Le tout est d’espérer que cette étape sera la plus courte possible – en général 2 semaines – avant que mes nouveaux globules blancs viennent faire le job.

Chambre stérile : room sweet room

Les chimiothérapies pour les leucémies et autres maladies du sang n’ont rien à voir avec celles des autres cancers : on est hospitalisé plusieurs semaines dans des chambres stériles ou dites « protégées », tandis que les perfusions attaquent votre moelle au bazouka pour tuer les cellules souches défectueuses.

Un traitement « destop » qui tue aussi les bonnes cellules et vous laisse en aplasie pendant quelques semaines, le temps de faire naitre de nouvelles cellules qui vont fabriquer les plaquettes et globules blancs et rouges.

Autant récréer un « room sweet room » pour occuper le temps et se sentir le mieux possible… la vie est trop courte pour la vivre triste et inconfortable. Voici la liste de ce que j’y ai apporté pour être le mieux possible:

  • coussin et oreiller (je ne sais pas vous, mais les oreillers en plastic sous le drap ça fait transpirer)
  • ordinateur (s’il y a du wifi, sinon, apporter un domino orange ou autre…) pour regarder des films ou des séries
  • musique (j’avais la chance d’avoir la mini enceinte bose connectée à mon iPhone – encore mille mercis à mon frère Arnaud)
  • mini-bouilloire + mug avec votre thé ou café préféré
  • prise multiple pour brancher le tout
  • bouquins ou encore mieux tablette (kindle ou autre) pour la recharger avec de nouveaux livres quand vous serez en stérile sans pouvoir rien accepter venant de l’intérieur
  • pommade rosa pour les lèvres qui se dessèchent vite dans cet univers confiné
  • chemises de nuit boutonnées de haut en bas pour passer facilement la perfusion
  • tenues pour la journée : j’ai adopté les chemises larges et boutonnées avec caleçons ou pantalons larges
  • sac pour linge sale
  • pas besoins de serviettes de toilette ni gants : ils sont donnés par l’hôpital et changés chaque jour pour éviter les microbes

L’équipe médicale vous verra débarquer avec de gros yeux…  pour ma part, lors de mon dernier séjour, j’ai tout mis dans une grosse valise à roulette 🙂

Photo de ma chambre spacieuse à l’hôpital :